samedi 30 septembre 2023

LES MARTYRS DE LYON

Les martyrs de Lyon sont un groupe de chrétiens qui ont subi le martyre à Lugdunum (Lyon) en 177.
C'est le premier groupe de chrétiens connu en Gaule.

Vers 177, le christianisme est une religion non reconnue des autorités (religio illicita), bien que plus ou moins tolérée dans les faits. Il est essentiellement implanté dans les villes de la partie orientale de l’Empire romain.

Le christianisme est persécuté par l'État romain de façon sporadique et non systématique, en des répressions localisées à une cité et pendant un bref laps de temps.

La précédente persécution notable est localisée en Bithynie et date de Trajan (règne de 98 à 117). À cette occasion, Trajan prescrit de ne pas rechercher les chrétiens, sauf sur dénonciation, laquelle ne peut être anonyme. Les chrétiens sont passibles de la peine capitale s’ils n'abjurent pas leur foi. Selon Marie-Françoise Baslez, les communautés chrétiennes des deux premiers siècles vivent ainsi dans ce qu'elle qualifie de « climat d'insécurité permanent ».

Vers les années 170, un mouvement chrétien radical apparu en Phrygie, le montanisme, annonce la fin du monde, prône l’ascétisme et le martyre, et conteste hiérarchie, État et service militaire. Les intellectuels chrétiens rejettent le montanisme comme hérétique, mais le monde romain ne fait pas la différence.

Simultanément, les menaces barbares sur les frontières tendent la situation politique : en 167-169, puis en 175-180, les chrétiens refusent de participer aux cérémonies religieuses officielles de soutien à l'Empire demandées par Marc Aurèle.

À cette époque, Lyon ou plus exactement Lugdunum est une colonie romaine, capitale de la province de Gaule lyonnaise et siège du Sanctuaire fédéral des Trois Gaules dédié au culte officiel à Rome et Auguste, célébré par les représentants des villes gauloises.

Des cultes d’origine orientale sont bien implantés à Lugdunum, comme celui de Cybèle, attesté par des autels tauroboliques (à tête de taureau), ou celui de Dionysos, attesté par des sarcophages décorés de thèmes dionysiaques.

À l'époque, le christianisme, plutôt méconnu, est souvent assimilé à la religion juive ou considéré comme une secte juive.

Les martyrs de Lyon sont connus par l’historien Eusèbe de Césarée (vers 260, vers 339) qui cite dans le Ve livre de son Histoire ecclésiastique une lettre « des Églises de Lyon et de Vienne aux Églises d’Asie et de Phrygie ». Eusèbe reprend de larges passages de cette lettre, mais n'en mentionne pas l’auteur, que la tradition identifie comme Irénée de Lyon, membre du groupe des chrétiens de Lyon et ayant échappé à la persécution. Cet auteur est connu pour d’autres écrits, et est cité par Eusèbe un peu plus loin dans l’Histoire ecclésiastique. Remarquons néanmoins qu'Eusèbe cite nommément ses sources chaque fois qu'il peut le faire, l'attribution à Irénée est donc une extrapolation de son texte. Par simplification, le présent article mentionne donc cette source sous le terme de « la lettre ».

Eusèbe place les événements dans la 17e année de règne d'Antoninus Verus, et lors de l'élection d’Éleuthère comme évêque de Rome. Si la première indication est l'année 177 sous Marc Aurèle, la seconde pose un problème, car elle contredit la date de 177 : l'élection d’Éleuthère est datée de 175. Toutefois cette date a été déduite par un calcul à rebours des durées des épiscopats à Rome depuis le troisième siècle. Ces durées étaient indiquées en années, donc arrondies, ce qui a pu induire par addition des durées successives un biais entre les chronologies. L'archéologue lyonnais Amable Audin donne un argument en faveur de 177 : un rescrit de Marc Aurèle et de Commode trouvé en Espagne répond à la demande des prêtres responsables du culte impérial des Trois Gaules et autorise ces prêtres à acheter aux autorités des condamnés de droit commun, pour les mettre à mort en remplacement des coûteux combats de gladiateurs. Ce rescrit est postérieur à l'association de Commode au trône impérial, fin 176. Les exécutions de chrétiens lors de la célébration du culte de Rome et d’Auguste, ne peuvent donc selon Amable Audin se situer en 175.

On peut trouver la traduction complète du texte d'Eusèbe à partir de la bibliographie ci-dessous. Il convient pour la lecture intégrale de cette source de garder en mémoire que les auteurs antiques remaniaient parfois les textes ou discours qu’ils citaient, pour en améliorer l’effet littéraire et l’impact sur le lecteur. De surcroît les copistes successifs des manuscrits antiques ajoutaient parfois leurs commentaires, dans la même optique d’effet sur le lecteur. Ces pratiques littéraires appliquées aux textes relatifs aux martyrs expliquent la mention fréquente dans les développements hagiographiques postérieurs, de prodiges tels que l’odeur suave émanant des corps martyrisés, ou dans le cas des martyrs de Lyon, de guérison miraculeuse des blessures de Sanctus lors d’une seconde séance de tortures. Enfin Eusèbe désigne fréquemment les martyrs sous les mots de « athlètes » ou « lutteurs », combattant dans l’amphithéâtre contre les ennemis de leur foi.

Selon la lettre transcrite par Eusèbe, Polycarpe, évêque de Smyrne en Phrygie envoie en Gaule un groupe dirigé par Pothin et quelques compagnons, avec mission d’y développer l’implantation du christianisme.

Le chapitre I du Ve livre de l’Histoire ecclésiastique débute par l’évocation d'incidents dans les lieux publics mettant en cause les chrétiens :
«… on ne nous a pas seulement chassés des maisons, des bains, de la place publique, mais encore on nous a interdit de paraître en quelque lieu que ce fût »

« Les sévices innombrables que leur infligeait la foule entière, ils (les martyrs) les supportèrent généreusement : ils furent insultés, frappés, traînés par terre, pillés, lapidés, emprisonnés ensemble ; on leur fit subir tout ce qu'une multitude déchaînée a coutume de faire contre des adversaires et des ennemis »

« Ensuite, ils furent amenés au forum par le tribun et les magistrats préposés à la ville ; interrogés devant tout le peuple, ils firent profession de leur foi ; puis ils furent enfermés dans la prison jusqu'à l'arrivée du légat. »

Lors de la comparution devant le légat de la province, un chrétien non arrêté, Vettius Epagathus se pose en défenseur des inculpés « il réclama d'être lui aussi entendu en faveur des frères, pour montrer qu'il n'y avait chez nous ni athéisme ni impiété ». Convaincu d’être chrétien, il est emprisonné à son tour. La vague d’arrestations se poursuit :
« Chaque jour on arrêtait ceux qui en étaient dignes, pour compléter le nombre des martyrs. Ainsi furent emprisonnés tous les croyants zélés des deux Églises, ceux sur qui principalement reposaient les affaires de nos pays. On arrêta même quelques païens, serviteurs des nôtres, car le gouverneur avait officiellement ordonné de nous rechercher tous. »

Selon la réglementation de Trajan, les chrétiens ne doivent pas être recherchés ; le légat ordonne néanmoins des recherches, car il instruit une affaire de troubles de l’ordre public. La procédure d’enquête ne reçoit les témoignages d’esclaves que sous la torture, les esclaves non convertis chargent donc leurs maîtres des accusations formulées ordinairement contre les chrétiens : cannibalisme, inceste, « et de faire ce qu'il ne nous est pas permis de dire ni même d'imaginer », provoquant l’indignation générale.

« Toute la colère de la foule, aussi bien que celle du gouverneur et des soldats, se concentra sans mesure sur Sanctus, le diacre de Vienne, et sur Maturus, tout nouvellement baptisé mais généreux athlète ; sur Attale, originaire de Pergame, qui avait toujours été la colonne et le soutien de ceux d'ici ; et enfin sur Blandine » mais les trois précités résistent aux tortures, y compris la fragile esclave Blandine.

Seuls une dizaine d’arrêtés renient, malgré cela, ils demeurent emprisonnés et sont questionnés sous la torture pour témoigner contre les chrétiens. Une nommée Bilbis revient sur son reniement et rejoint les martyrs. D’autres revirements de renégats sont mentionnés à plusieurs reprises dans le texte, qui admet néanmoins que tous ne reviennent pas sur leur reniement.

La procédure se prolonge, un certain nombre de prisonniers entassés dans la prison meurent des suites des mauvais traitements et des conditions de détention, et parmi eux Pothin, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans. La lettre n’indique pas qu’il ait été torturé, mais durement malmené lors de sa comparution : « Il fut alors emmené et traîné sans pitié ; il souffrit toutes sortes de coups : ceux qui étaient près de lui l'outrageaient de toute manière, des mains et des pieds, sans aucun respect pour son âge ; ceux qui étaient loin lançaient sur lui tout ce que chacun avait sous la main. Il respirait à peine quand il fut jeté dans la prison et, après deux jours, il rendit l'âme. »

Maturus, Sanctus, Blandine et Attale sont torturés et exposés aux fauves dans l’amphithéâtre. Sanctus et Maturus finissent égorgés, tandis que Blandine est dédaignée des bêtes. L’exécution d’Attale est suspendue par le gouverneur, qui a appris sa citoyenneté romaine.« il écrivit à leur sujet à César, puis il attendit sa réponse […]. César répondit qu'il fallait mettre les uns à la torture, mais libérer ceux qui renieraient. ».

L'empereur Marc Aurèle ou ses services impériaux reprennent donc la règlementation de Trajan. Le jugement final coïncide avec ce que l’on peut identifier comme la célébration du culte fédéral de Rome et d’Auguste, rassemblant les représentants des villes gauloises dans le Sanctuaire fédéral des Trois Gaules :

« La fête solennelle du pays - elle est très fréquentée et l'on y vient de toutes les nations ayant commencé de se tenir, le gouverneur fit avancer les bienheureux au tribunal d'une manière théâtrale, pour les donner en spectacle aux foules.
Il les interrogea donc à nouveau. À ceux qui lui semblèrent posséder le droit de cité romaine, il fit couper la tête ; les autres, il les envoya aux bêtes. »

« Pendant qu'on les interrogeait, un certain Alexandre, Phrygien de race, médecin de profession, établi depuis plusieurs années dans les Gaules, connu de presque tous, se tenait debout auprès du tribunal et par signes les exhortait à la confession. » Repéré, Alexandre comparaît devant le gouverneur et est exécuté dans l’arène avec Attale. Blandine, accompagnée du jeune Ponticus, est suppliciée la dernière.

« Les corps des martyrs furent donc exposés et laissés en plein air durant six jours ; ensuite, ils furent brûlés et réduits en cendres par les pervers qui les jetèrent dans le fleuve du Rhône ».

Eusèbe de Césarée ne cite que les principaux noms parmi les victimes, et évoque l’existence à part de son Histoire ecclésiastique d'une liste des martyrs et des survivants. Cette liste fut probablement traduite en latin par Rufin d'Aquilée au début du ve siècle en même temps que l'Histoire, recopiée dans les martyrologes, et parvint à la connaissance de Grégoire de Tours. Elle a été patiemment reconstituée en 1921 par Dom H. Quentin, par recoupements à partir de différents manuscrits. Elle comporte 48 noms, correspondant à 47 personnes, Vettius étant également nommée Zacharie. Comme l'indique Eusèbe, elle liste ces personnes selon le sort qu'elles ont connu:

décapités : 22 martyrs, mode d'exécution correspondant à leur qualité de citoyen romain dont onze femmes : 

Vettius Epaghatus également nommé Zacharie, Macaire, Alcibiade, Silvius, Primus, Ulpius, Vital, Comminus, Octobre, Philomène,  Geminus, Julie, Albine, Grata, Rogata, Émilie, Potamia, Pompée, Rodana, Biblis, Quartia, Materne, Elpis

mis à mort dans l'arène : six personnes, cinq hommes, Sanctus, Maturus, Attale, Alexandre et Ponticus, et une femme, Blandine

mort en prison : 18 personnes, dont dix femmes : Pothin, Aristée, Corneille, Zosime, Tite, Jules, Zotique, Apollon, Geminien, Julie, Ausone, Émilie, Jamnique, Pompée, Domna, Juste, Trophime et Antonie

Deux cas sont des exceptions : Vettius Epagathus est compté comme martyr, mais il ne fut pas exécuté, car la lettre parle de lui au présent ce qui indique qu'il vivait lors de sa rédaction. Il fut peut-être épargné en raison de son rang social. Quoique sa qualité de citoyen romain ait été constatée pour Attale lors d'une première exposition dans l'amphithéâtre, il y est renvoyé à la demande de la foule et exécuté.

Une quatrième liste dont le détail n'est pas connu indiquait les survivants, qualifiés par Eusèbe de « confesseurs » et non de martyrs comme les victimes des trois premières listes. Ils ont admis être chrétiens, mais échappent à la mort. Leur sort n'est pas connu, la peine de prison n'existant pas dans le droit romain, ils peuvent aussi bien avoir été relaxés que condamnés aux mines.

L'étude des noms indiqués donne des indications d'origine géographique : la plupart sont des gentilices romains, un ou peut-être trois semblent des noms celtes, et 16 ou 17, soit un tiers, sont des noms grecs. Ces derniers noms peuvent indiquer une origine orientale, mais pas de façon certaine, car la mode était de donner des noms grecs aux esclaves, quelle que soit leur origine, dénominations qu'ils conservaient une fois affranchis.

Jean 17 v 17 Sanctifie-les par ta Vérité: ta Parole est la Vérité.